Les Délaissés : trois blogs pour une seule histoire, vue par trois personnages différents. Les trois blogs peuvent se lire séparément.
Voici l'histoire d'Iris.
L'histoire de Camille est accessible en cliquant sur le lien ci-contre : Les Délaissés 1, celle de Lu ici : Les Délaissés 2
On consultera également avec profit L'encyclopédie des Délaissés !
Et aussi (dans un autre registre) : dOg, Du sarin dans le plastibulle, On verra bien, La brosse à reluire, L'agrégonaute et Le valet de carreau.

mercredi 3 avril 2019

C'est fini

Et voilà, les aventures d'Iris se terminent ici !
Elle remercie sincèrement la persévérance de ceux qui la lisent depuis le début et espère avoir pu les divertir.
A bientôt !

lundi 1 avril 2019

2532


Quand je me cachais encore dans ce squat crasseux aux fenêtres bouchées par du carton gondolé ; quand j’avais l’impression que les émeutes ne cesseraient pas et que le monde ancien jamais ne céderait, je pensais souvent aux derniers mots de Julien, tristes et pleins d’espoir à la fois :
« Le Plateau est foutu, définitivement. Mais tout n’est pas perdu... on dirait bien qu’une abeille est allée construire des ruches ailleurs. Ça, personne n’aurait pu le prévoir ! Toujours se méfier des petites ouvrières industrieuses comme toi, elles cachent des éclaireuses redoutables ! »

dimanche 31 mars 2019

2531


J'ai suivi les pistes, remonté les traces, récolté les nouvelles identités.
Et je les relie.
Je redessine virtuellement le Plateau, retisse les liens qui nous unissaient solidement.
Précautionneusement, très lentement.
Mikhaïl et Laura un jour se retrouveront et s'embrasseront.
Ma quête est semée de surprises, d'embûches et d'accrocs. Je m'émerveille d'en voir certains prendre part activement à la construction de ce nouveau monde ; je suis parfois pendant des jours la piste d'un fugitif paumé qui espère rejoindre le Plateau, en vain ; ni corps, ni nom, aucune certitude.
Mais Mikhaïl et Laura un jour s'embrasseront.
Un coup, je tombe sur une petite famille parfaitement coulée dans sa vie urbaine, comme si elle y avait toujours été, sans regret pour le Plateau, comme honteuse à son souvenir ; le lendemain, c’est un natif déboussolé que je ramasse, perdu dans son labyrinthe de béton, assommé par les antidépresseurs.
Il cherchait une rivière.
Mais Mikhaïl et Laura un jour s'embrasseront.

samedi 30 mars 2019

2530


Quant à moi, j’ai obtenu de manière tout à fait illégale une nouvelle identité qui curieusement, ne comporte pas une seule des lettres de mes anciens noms. J’ai réussi à traverser tout le pays et, au bout de plusieurs semaines, à intégrer une petite ville en auto-gestion, très impliquée dans le mouvement zélé.
Quand le climat s'est apaisé, j'ai repris contact avec Sarah, qui ne m'a pas reconnue tout de suite. Ça fait bizarre de voir pleurer Sarah. On l'en croirait incapable. De contact en contact, prudemment, j'ai réussi à remonter la piste des évacués. Comme l'avait prédit Trajan, ils ont été soigneusement séparés les uns des autres avec une application qui forcerait presque le respect. Les procédures, déjà bien avancées quand est arrivé le Gouvernement provisoire, ont bêtement poursuivi leur cours sous sa férule, peut-être par facilité, peut-être parce qu'on voyait toujours en eux une menace pour la stabilité politique qu'on cherchait à tout prix à retrouver.
Les plus anciens ont vu leur identité ressusciter ; les natifs s'en sont vus créer une nouvelle, conforme, avec une jolie carte en plastique pour leur rappeler qui ils sont. Ceux-là, issus du néant, créés de rien, ont été les plus difficiles à retrouver.
Ceux qui ont réussi l'entretien psychologique ont très été éparpillés dans des résidences à travers tout le pays, appartement tout meublé, tout assuré, avec emploi à la clef (jusqu'aux révoltes) : espace minimum vital, aides minimales, bref on les a intégrés en ville avec, en guise de bracelet électronique, l'angoisse de ceux qui n'ont que le minimum pour survivre. On les a dès le départ si bien coupés les uns des autres qu'aucun n'a su, pendant longtemps, ce qu'était devenu son voisin, son amant, ses amis...
Les enfants bénévolents ainsi que ceux des évacués impliqués dans les violences sont devenus pupilles de l'Etat et tentent de se conformer au nouveau rôle d'élève dans des internats. Ceux-là, je les surveille de loin, car ils sont étroitement suivis par les services sociaux.
Un jour, j'ai réussi à faire passer un message dans la maison de repos où est enfermé l'Ingénieur.
Pour qu'il sache qu'il n'est pas seul.

vendredi 29 mars 2019

2529


Le Gouvernement provisoire a commencé la rédaction de la nouvelle Constitution en début de semaine. Tout le monde se réunit sur les terrasses des cafés, dans les salles communes ou les centres culturels pour en suivre l'élaboration, débattre et réagir par référendum. Les premières mesures sont vivement applaudies.
L'instauration du suffrage universel direct donne lieu à de grandes réjouissances pendant jours et des jours. Dans la foulée est créée la demi-journée hebdomadaire de Citoyenneté Universelle, consacrée à l'information, la formation et au débat politique. Désormais, le citoyen a toute sa place dans la vie politique de son pays et de sa ville.
Dès le deuxième jour, l'indice de Bonheur National Brut intègre la Constitution, et l'environnement compte dans les premiers critères.

jeudi 28 mars 2019

2528


Les vagues du mouvement zélé éclaboussent au-delà des frontières. Au Royaume hispanique, de nombreuses usines se mettent en grève. Aux Bas-Länders, ce sont tous les fonctionnaires qui paralysent l'administration, tandis que les banlieues états-uniennes occupent pacifiquement les villes et organisent des universités populaires en plein air depuis plus d'une semaine.

mercredi 27 mars 2019

2527


Peu à peu, on laisse mon fantôme tranquille, car d’autres héros, bien réels et bien visibles, prennent le relais. Clarisse a intégré les portes-paroles de la ville de L. et elle a fait partie de la délégation qui est allé porter les doléances des habitants au Gouvernement provisoire. De ce que je peux voir de loin, on la respecte énormément. Sarah et Chef Louis se sont battus pour dévoiler au grand jour le scandale du Plateau. L’enquête a progressé, révélant un tel état de corruption parmi l’ancienne Chambre et le Sénat, que cela a achevé de convaincre les gens qu’une nouvelle Constitution était nécessaire. Le Gouvernement provisoire a cédé.
Si le préjudice a été reconnu et que les hors-la-loi du Plateau sont désormais des victimes, le Plateau ne leur sera pas rendu pour autant. De ce que j’en sais, le Gouvernement provisoire n’y touche pas pour le moment, trop occupé à gérer les villes en révolte.
Mais le sort des évacués reste opaque. Pour les préserver, leur identité n’a pas été rendue publique.
Seulement la liste des morts.
Un communiqué officiel assure que chaque famille sera soigneusement intégrée et accompagnée dans sa nouvelle vie.

mardi 26 mars 2019

2526


Depuis le 4 juillet (proclamé depuis jour de fête nationale), Iris a disparu. Bien sûr, furieux, les révolutionnaires ont immédiatement exigé que les autorités avouent ce qu'elles avaient fait de moi. Il a fallu attendre un communiqué du Gouvernement provisoire (n'ayant aucun lien avec le précédent) pour calmer l'ire populaire, soit après plusieurs semaines d’émeutes et de manifestations houleuses.
Tout ce qu’on sait, c'est qu'elle n'a pas été arrêtée.
Le dernier a l'avoir vue, Trajan Huckert, répétera encore dans la dernière interview qu’il donna avant d'être incarcéré, qu'il n'a aucune idée de l'endroit où elle peut être.
Un mouvement de chagrin poussera d'abord quelques fervents admirateurs à organiser, ici ou là, de petites cérémonies de commémoration aux allures de funérailles. Il est vrai que cette hypothèse n'est pas à exclure, répéteront les agents Martin et Doiseaux, toujours chargés de me retrouver. J'ai assisté à l'une d'elles, une fois, par hasard. De loin, je voyais les gens allumer des bougies. Ça m'a donné envie de pleurer.
Après m'avoir tuée, ils ont ressuscité mon fantôme, qu'ils ont aussitôt habillé de légendes. Tantôt je suis retournée sur le Plateau dans des forêts si profondes que l’homme, peu importe les machines qui l’accompagnent, mettra des années à les dompter ; tantôt je m’immisce dans les communautés autonomes qui se partagent les villes et je veille, un peu à la manière d’un esprit protecteur, commentera une sociologue à la radio ; ou encore, j’ai intégré secrètement le Gouvernement provisoire. Je préfère l’histoire qui dit que je voyage à pied de ville en ville, pour semer mes idées là où le mouvement zélé a encore du mal à prendre. J’aime bien celle-là, parce que c’est un peu ce que j’ai fait, au départ sans faire exprès, très innocemment.
En réalité, je n’ai rien fait rien de tout cela.

lundi 25 mars 2019

2525


Les trains et les usines sont toujours en grande majorité bloqués. Quelques usines agroalimentaires avaient été envahies par leurs ouvriers pour approvisionner les cités résistantes alentours, mais les chars les ont aussitôt assiégés. Quand les soldats ont commencé à faire sauter les tuyaux d'approvisionnement, les émeutes sont reparties de plus belle, soutenues cette fois-ci par plusieurs noms qui me sont familiers : d’anciens députés de la Chambre sympathisants à la cause du Plateau, ainsi que des personnalités médiatiques. Pendant plusieurs semaines, cela n’a pas toujours été facile de se procurer à manger. Là-dessus, l’ami de Julien a bien tenu sa promesse et a toujours veillé à ce que je reste pas le ventre vide.
Puis enfin, ce qui restait du gouvernement a consenti à tendre l'oreille. Une vraie, une bien attentive.
Ville par ville, dont certaines toujours barricadées, les maires, parfois d'ailleurs réélus en hâte suite à des démissions impromptues, ont porté les revendications de leurs citoyens. Leur volonté est unanime : aucune réélection ni législative ni sénatoriale, tant que les chars n'auront pas quitté la place des villes de P., B. et T. ; aucune réélection tant que la Constitution n'aura pas été modifiée ; ça, il a fallu qu'on m'explique. Tout le système tient par la rédaction de ce texte. C'est fabuleux ! Juste un texte, du papier et des lignes, c'est à se demander comment personne n'a essayé de la modifier avant. A ça, on m'a répondu que c'était un peu plus compliqué.

dimanche 24 mars 2019

2524


Adieu Julien.
Adieu Trajan, adieu encore, tu me manques déjà.
Adieu Marcelle, puisses-tu mourir là où tu es née, comme tu le souhaites. Qu’il y ait toujours quelqu’un pour lire tes poèmes.
Adieu Marie. Il paraît que tu es heureuse sur ta montagne et que tu vis parmi les renards. Chloé veille à ce que tu manges bien et à ce que tu n'aies pas froid.
Adieu Trogl’Edith. Il paraît qu’avec ton hypersensibilité, tu es capable de sentir approcher les drones.
Adieu Grégoire. Toi qui connais la forêt par cœur, tu devras guider les fugitifs. Julien te dira que je ne reviendrai pas et tu m’oublieras.